Nothing “As Idea As Idea” : Joseph Kosuth et l’expression du rien

Joseph Kosuth présente en 2010 une exposition à la ACCA (Australian Center for Contemporary Art) intitulée (Waiting for-) Text for nothing Samuel Beckett in Play. C’est un dialogue idéel autour de l’idée du rien, à travers un jeu de parallèles avec le travail du dramaturge de l’absurde Samuel Beckett. Le concept du néant défie toute figuration et entraine une contradiction avec l’existence physique de quelconque objet par définition. Comment donc figurer, montrer et faire parler de la notion la plus immatérielle, le non-physique par excellence: le rien?

neil-robert-wenman-nothing-2003
Joseph Kosuth, Nothing, 1969

Pour cette exposition Joseph Kosuth a présenté une oeuvre basée sur plusieurs pièces théâtrales de Samuel Beckett, avec une référence particulière à Waiting for Godot (En attendant Godot, 1953) et Texts for Nothing (Nouvelles et textes pour rien, 1955). L’installation est composée de panneaux noirs sur lesquels figurent des mots en néon noir, ainsi que certains de ses tableaux précédents. Parmi ceux-ci apparaissent Zero & Not (1980), en meme temps affirmation et négation de la parole d’un maitre de la literature (il s’agit d’un extrait de texte de Beckett imprimé sur le mur, mais curling en noir de façon qu’il soit illisible) et des travaux sur l’Ulysse de James Joyce, provenant d’une exposition de 1998 à la Hiberian Academy de Dublin. Pourtant, Nothing (1969) sera le tableau qui nous intéressera le plus dans cet article.

Généralement accepté comme le pionnier et initiateur de l’art conceptuel, la production artistique de Joseph Kosuth est fondée sur une priorité fondamentale et absolue de l’idée: elle est  non seulement le moteur de l’oeuvre, mais doit constituer l’oeuvre toute entière. L’idée suffit comme point de départ, matière et résultat d’une oeuvre d’art. La particularité de Joseph Kosuth, parmi les artistes conceptuels (qui rejettent donc le coté physique, formel et matériel des oeuvres d’art), est sa tendance à explorer les tête-à-tête entre objet et matière en créant des relations puissantes entre langage et art. Il est l’auteur de nombreuses toiles noires où le sujet du tableau, ou mieux de l’oeuvre, est un concept. Comment rendre sur un support aussi traditionnel que la toile une discours totalement conceptuel? Dans Nothing, l’artiste nous propose un article de dictionnaire, dans une typographie standard et traditionnelle, avec une liste des possibles définitions du mot. L’apparence est réduite au minimum de couleurs, formes et textures, ou mieux, elle est indifférente et inintéressante.

Nothing est une oeuvre emblématique de la tension entre l’idée irrépresentable et le procédé inédit que Kosuth trouve pour la présenter au spectateur, sans tomber dans la contradiction. Il met noir sur blanc, ou mieux, “blanc sur noir”, l’expression la plus radicale d’un concept: sa définition. L’artiste a donc crée une forme d’art conceptuel où les mots remplacent les objets et les images artistiques. C’est sa manière originale de nous montrer que l’oeuvre d’art est dans le concept, pas dans l’objet. L’art conceptuel de Kosuth emprunte des éléments de linguistique, sociologie et philosophie, et se concentre plutôt sur le langage, et sur le procédé par lequel on donne des noms aux concepts, que sur les objets. Joseph Kosuth déclare, en 1969, qu’il ne produit pas des oeuvres, mais que des modèles: les vraies oeuvres d’art sont conceptuelles par leur nature, car l’art n’existe que “conceptuellement”. Les mots sont les “modèles” de ses idées.

Pour aller plus loin,il entraine aussi une réflexion sur le concept, le texte et l’autorité que ces deux notions ont l’un sur l’autre: c’est-à-dire, comment la formulation de la définition de rien, par exemple, nous conditionne dans la communication de la véritable idée du rien? L’aspect encore plus intéressant de proposer la définition d’un concept comme manière de faire d’un concept pur une oeuvre d’art , est la nature essentiellement tautologique des définitions. En linguistique (à laquelle Kosuth s’est toujours intéressé), les définitions sont considéré des propositions tautologiques, c’est-à-dire la formulation d’une phrase où la meme idée est dite deux fois, utilisant des mots différents, mais expliquant l’idée de départ par elle-même, sans ajouter une explication ultérieure et sans apporter des nouvelles informations.

La tautologie est donc une affirmation nécessairement vraie (sa formulation meme garantit sa vérité), et qui ne communique aucune information. Selon Kosuth, toutes les oeuvres d’art sont des tautologies, car, pour lui, toute oeuvre est une présentation auto-révérencielle de l’intention de l’artiste: son intention d’affirmer que “ceci, c’est une oeuvre d’art”. D’une certaine manière, la proposition tautologique est le correspondant linguistique du monochrome. En effet, pour expliquer et développer un concept, elle ne recourt qu’au concept même. Comme la couleur unique du monochrome est auto-suffisante comme oeuvre, l’idée aussi peut exister grace à sa propre définition. Joseph Kosuth avait dit des monochromes d’Yves Klein:

One of the lessons to be learned about the art of our century, and Klein’s work shows this, is that if art is a game, it is about making rules, not following them.(Joseph Kosuth on Yves Klein, 1982)

Liens:

Sources des images en hyperlien.

Exposition Joseph Kosuth: ‘(Waiting for-) Text for Nothing’ Samuel Beckett, In Play SAMUEL BECKETT, IN PLAY

Dossier 1 de l’exposition

Dossier 2 de l’exposition

Une réflexion sur “Nothing “As Idea As Idea” : Joseph Kosuth et l’expression du rien

Laisser un commentaire